OUSMANE ALEDJI A PROPOS DE L’INSTITUTIONNALISATION DU CNAC
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« AUCUN GOUVERNEMENT N’Y ARRIVERA SANS LA CULTURE »
Dramaturge, metteur en scène et entrepreneur culturel, Ousmane Alédji, directeur du centre culturel Artisttik Africa plaide pour l’institutionnalisation du Conseil National des Arts et de la Culture (CNAC). Plus une institution sous tutelle du ministère de la culture comme ce fût le cas en 2002 mais une institution indépendante de toute tutelle et qui va régir le secteur des arts et de la culture au Bénin. Dans cette interview à nous accordée, Ousmane Alédji invite l’Etat à tenir compte de l’institutionnalisation du CNAC dans le cadre des réformes institutionnelles et politiques entreprises depuis peu. Lisez.
Jaimelaculture: Dans le cadre des réformes institutionnelles et politiques, vous plaidez pour le retour du Conseil National des Arts et Culture, vous souhaitez d’ailleurs qu’on en fasse une institution. Une telle démarche est-elle pertinente aujourd’hui où certains appellent à la réduction du train de vie de l’Etat ?
Ousmane Alédji: D’abord, je tiens à faire quelques préalables avant de rentrer dans le vif du sujet. J’ai promis ne pas m’exprimer avant les 100 jours considérés comme la période de grâce que l’on concède à tout système qui s’installe. Donc je précise que je ne parle pas à titre de critiques, je participe à un débat d’idées et je souhaite faire des contributions. J’ai la faiblesse de croire que la projection des idées est nécessaire pour un débat citoyen de qualité. Une dernière chose, je ne postule à aucun poste au sein de cette commission et je ne suis demandeur de rien. J’espère avoir été clair.
Cela dit, de quoi s’agit-il ? D’un projet de révision de la constitution et de l’actualisation des institutions qui gouvernent ce pays. Je fais observer que nous avons des institutions pour tous les secteurs sauf le secteur culturel. Je parle d’institutions indépendantes de toute tutelle. La culture n’en a pas alors que le Bénin est l’un des rares pays qui dispose encore d’une culture à quatre haies. C’est-à-dire qu’en dehors des pays de l’Amérique Latine et quelques pays asiatiques, ça n’existe plus. C’est donc un privilège rare que d’être béninois. Un privilège dont nous ne profitons pas parce que nos dirigeants respectifs se ressemblent.
Ils se ressemblent en quoi ? Quand il s’agit de la culture ou en général ?
Quand il s’agit de la gouvernance culturelle bien entendu. Après 26 ans de démocratie, il était normal de penser à actualiser le fonctionnement de nos institutions. Nous n’étions pas représentés à la conférence nationale c’est pour cela qu’ils ont créé des institutions dans tous les secteurs sauf pour le secteur culturel. Maintenant que le gouvernement nous offre l’opportunité de réviser la constitution, il me semble absolument nécessaire d’amener les gens à y intégrer une institution culturelle parce qu’au delà du vide que l’on comblerait l’on afficherait une volonté politique de tenir compte de notre culture et des économies de la culture dans le développement structurel du pays. On aura réglé pour de bon la question fondamentale de responsabilité et de principe. Et qui parle des économies de la culture parle d’un tissu industriel authentique, donc de développement tout simplement. Au Bénin on mesure la réussite d’un gouvernement à l’aune des kilomètres de routes et de rues pavées que ce gouvernement a réalisé. C’est hallucinant ! Et, les uns relaient les autres. Il faut arrêter avec ça. Aucun gouvernement n’y arrivera sans la culture. Aucun ! Vous pouvez l’écrire. Le miracle est possible peut-être dans d’autres secteurs mais dans le secteur culturel ce miracle a une définition connue : créativité, investissement et suivi.
En s’appuyant sur la culture on peut donc sortir notre pays du sous développement ?
Bien sûr ! Qu’avons-nous d’autre de singulier ? Avec quoi pouvons-nous intéresser, j’allais dire, séduire les autres ? Avec le coton ? Vous voulez rire ? Ca fabrique quelques bourgeois et le reste est plus misérable que l’ont été leurs pères et leurs grands pères. Vous n’êtes pas au courant que les autres subventionnent massivement leurs agricultures ?
La culture est donc selon vous la solution ?
Vous semblez dubitatif. Quand l’avons-nous essayée ? Quand lui avons-nous donné sa chance ? Nous n’étions pas représentés à la conférence nationale des forces vives de la nation, le résultat nous le connaissons. On veut réviser la constitution, actualiser le fonctionnement de l’ensemble de nos institutions, on parle de tout sauf de culture dans un Bénin réputé pour ses vodous et où l’on prête serment sur les mânes de nos ancêtres. Soyons un peu sérieux.
Vous voulez que les professionnels du secteur culturel soient représentés dans une commission dite déjà pléthorique ?
Parce que c’est pléthorique il faut sacrifier encore la culture pour les 26 prochaines années ? En quoi sommes-nous responsables du remplissage d’une commission et pourquoi tout doit se faire aux dépends de la culture dans un Bénin qui n’a de nom et de salut que grâce à sa culture ?
Ils n’ont qu’un mois.
C’est inconséquent !
Quoi, le délai ?
Absolument. C’est mon avis. Ce n’est pas une entreprise de marchands. Ecoutez, pour un travail qui engage l’avenir de notre pays il n’est pas indiqué de se précipiter pour bâcler le travail. Ce projet est bienvenu parce qu’il était souhaité par la grande majorité des béninois, donnons-nous le temps de bien le mener.
N’y a-t-il pas au sein de cette commission des gens d’un certain âge et d’une certaine expérience ?
Là, vous parlez de nos aînés constitutionnalistes, ont-ils eu le choix ? Sont-ils les seuls concernés ? Les textes qu’ils vont élaborer vont s’appliquer à qui, à eux ou au peuple ? Ecoutez, le poids de l’âge ne vous confère ni la sagesse ni le tout-savoir, pas forcément. Regardez Mugabé (rires) Ne vous laisser pas mystifier aussi facilement. Ce pays nous appartient à nous tous. C’est un débat qui nous concerne. Vous connaissez la règle : ce qui se fait sans nous se fait contre nous.
Vous plaidez pour l’institutionnalisation du CNAC mais au delà, qu’attendez-vous concrètement de cette commission ?
Qu’elle serve la cause du peuple et non un projet politique. Le projet politique du Président de la République actuel peut être contesté et remis en cause par son successeur et ainsi de suite. C’est un cercle vicieux. Ils ont l’obligation non seulement de corriger mais d’anticiper, de nous projeter si ce n’est dans le siècle à venir, au moins dans les 25 prochaines années. Et, j’insiste, sans la culture, ils auront œuvré en vain.
Imaginons un instant qu’il vous ait demandé de leur envoyer vos propositions. Que peut-on retenir ?
Vous voulez me faire travailler en vrac maintenant? (Rires) Sérieusement ! C’est d’abord une question d’esprit et de mentalité, ensuite viennent la volonté politique et les orientations fortes. C’est seulement après ces préalables qu’interviennent les projets et les programmes. Tant que l’esprit n’a pas établi la dimension culturelle pour base du développement d’un pays comme le Bénin, le bavardage n’est pas nécessaire. Et l’institutionnalisation du Conseil National des Arts et de la Culture serait un signal fort qui non seulement rassurerait les professionnels du secteur mais consacrerait un creuset officiel de propositions dont profiterait le gouvernement pour élaborer ses politiques à destination de nos populations.
Pensez-vous vraiment monsieur ALEDJI qu’avec les moyens financiers, sans le CNAC le gouvernement ne pourra pas sortir notre culture de sa léthargie ?
Justement, la question n’est pas d’abord financière. Si ce n’était que ça, sans une prise en charge structurelle du secteur, monsieur Yayi Boni l’aurait réussi. Il a été généreux avec nous ce monsieur. Yayi n’est pas mon ami, j’ai toujours refusé de répondre à ses appels maladroits parce que je considère que la générosité n’est pas responsable. Un Etat n’a pas à être généreux, il prend ses responsabilités. Ce n’est pas parce qu’on a une 4x4 et qu’on a chanté une fois à la télé qu’on a un boulot. Vous n’êtes pas dérangé vous de voir des artistes appelés à l’aide quand ils manquent de nivaquine ? Certains font trente ans de carrière et réalisent au soir de leur parcours que le simple gari, leur diner de tous les soirs, est plus lourd que leur portefeuille ; d’autres meurent, seuls, dans le dénuement total, abandonnés de tous. Bref ! Quand on est généreux, on fait des courtisans mais quand on est responsable, on fait des règles. D’où la nécessité pour nous d’avoir une institution culturelle indépendante qui élabore des règles et des mécanismes de suivi pour une gouvernance culturelle structurée de ce pays. Cela nous éviterait le gaspillage des ressources publiques mais aussi des errements et des errances que nous observons depuis 26 ans.
Quelle serait l’ossature du CNAC, une institution forte comme vous la rêvez ?
Je vais vous surprendre peut-être, savez-vous que l’éducation est un élément de la culture ? J’ai rencontré le Ministre Lucien KOKOU à la soirée de l’Europe. Il est disposé pour débattre de la possibilité d’intégrer l’enseignement des arts dans le système éducatif national au moins à partir du secondaire. Qui va lui faire les propositions, moi ? A quel titre… J’ai lu dans la presse le projet de création de la zone franche du savoir et de l’innovation. On est en plein dans la culture. Ce projet relève du domaine des économies créatives et des industries culturelles en ce sens que ça va générer des créations, donc des brevets et des propriétés intellectuelles. Je veux dire que le CNAC devrait être une institution inclusive qui intègre une notion contemporaine de la culture aussi bien dans sa composition que dans son fonctionnement. Nous pouvons-nous inspirer du manuel de procédure et des documents du Conseil National des Arts du Canada. Ce n’est pas compliqué à obtenir.
Le gouvernement vient de supprimer des organes dits budgétivores. Et s’il vous oppose la question de la rationalisation des ressources publiques ?
Et je le soutiens. J’applaudis avec le plat des pieds. Vous avez dit ‘’organes budgétivores’’. Il y en avait partout ; à la pelle. Moi je vous parle d’une institution indispensable pour notre pays. Je vous parle d’un Bénin en avance sur plusieurs pays d’Afrique. Un Bénin où un instituteur ne pourrait plus devenir ministre de la culture. Une petite pique au gouvernement actuel, pourquoi pas, même si j’y ai des amis. Je veux leur dire que le tourisme est un produit culturel. De la dynamique artistique et culturelle dépend le tourisme. Nous créer un ministère du TOURISME ET DE LA CULTURE n’est pas banal, c’est même une incongruité. Voilà, j’ai dit.
Là-dessus, croyez-vous qu’un acteur culturel puisse réussir à la tête du ministère de la culture puisqu’il y a souvent une guerre de leadership en votre sein quand il s’agit de la cause commune qu’est la culture ?
Citez moi une seule corporation où il n’y a pas de conflits. Regardez les sportifs. D’abord, le concept d’acteurs culturels est un concept galvaudé car n’importe qui peut se lever aujourd’hui pour devenir acteur culturel. Donc c’est une terminologie qui ne correspond plus à mon analyse de l’environnement béninois. Je parlerai des professionnels du secteur culturel. Pourquoi un professionnel du secteur culturel ne pourrait pas diriger le département de la culture. Pourquoi, il ne serait pas bon pour s’occuper de son secteur ? Parce qu’il n’a pas un doctorat ? Le Brésil a eu Gilberto Gil, le Sénégal Yousour N’dour et la Côte d’Ivoire Zaadi Zaourou. Nous sommes aujourd’hui à l’ère de la promotion des compétences. Du reste, c’est l’obsession déclarée du chef de l’Etat. Je précise que nul n’est compétent à tout faire. Les compétences sont sectorielles. Aujourd’hui, il y a des spécialistes dans le secteur culturel. Des experts culturels béninois sont sollicités par des institutions internationales. Vous me pardonnerez de prendre mon exemple, j’ai travaillé pour la francophonie pendant huit ans et pas que ça ; Marie-Cécile Zinsou est membre du collège des commissaires de la biennale de Dak’art 2016, Fadaïro enseigne dans le monde entier, Akoha Bienvenue s’occupe de son conservatoire des danses royales depuis dix ans, c’est un universitaire mais aussi un directeur artistique bref ! Notre faiblesse est politique. Nous n’y sommes pas et ceux qui y sont ont peur de travailler avec des libres penseurs. Le besoin d’exercer le contrôle fait le politicien. C’est petit mais on y peut rien.
Professionnaliser le secteur culturel. Qu’est-ce que vous y mettez ?
Je l’ai dit, je l’ai démontré. Pendant la campagne présidentielle, je ne me suis pas caché. J’ai donné de mes idées, j’ai fait plusieurs fois la démonstration aux amis qui se sont approchés de moi. Le secteur culturel du Bénin peut devenir le premier pourvoyeur d’emplois sécurisés pour nos jeunes. 300.000 au moins en 3 ans avec 5% du budget annuel. C’est démontrable. Aujourd’hui, grâce à la perspicacité du professeur Médèhouègnon Pierre, l’Université d’Abomey-Calavi dispose de l’Institut National des Arts et il y a une faculté des arts qui a été créée à Natitingou. Mais nous n’avons pas de formation au niveau secondaire, ces universités vont former qui ? Il faut donc élaborer des modules adaptés à l’enseignement artistique au secondaire et embaucher des enseignants dans le lot des professionnels disposés à partager leur savoir faire et les rémunérer. L’impact est doublement bénéfique : on sort les artistes professionnels de la précarité en leur donnant du boulot et on forme une jeunesse aux pratiques artistiques. Le génie s’éclore, la créativité irrigue tout et tout ce qui se fait, on a un public de qualité parce que formé. Estimons à 5000 les collèges privés et publics du Bénin ; le besoin en enseignants d’arts par collège est estimé à 7 en moyenne ; cela nous donne 35000 postes à pourvoir. Bien entendu ce n’est pas exhaustif. Ce n’est pas nécessaire de continuer.
Pourquoi pas?
Non. Ecouter, qu’est-ce qui fait avancer le monde à votre avis, les idées, les rêves. Vous voulez que je livre les miens dans le cadre d’un entretien. Ils vont s’en saisir et se passeront pour des experts. Je les connais et j’en ai marre.
Vous avez ardemment soutenu l’avènement de la rupture. Pourquoi ces réserves aujourd’hui?
Non. Pas du tout ! J’ai laissé comme toujours mes convictions s’exprimer. Elles m’ont amené à épouser une cause, à me battre pour cette cause. Elle a triomphé, tant mieux. Je n’avais aucune promesse à honorer et je ne voulais faire plaisir à personne en particulier. C’est une question de principe et peut-être de tempérament. Je me battrais pareil si le contexte se représentait. Tout sauf l’insulte !
Est-ce que votre combat aujourd’hui est de les aider à réussir ce mandat ?
Je parle donc j’aide. En fait, pourquoi ? Qu’est-ce qui m’oblige à les aider et pourquoi j’en ferais une mission ? Ils ont compéti pour être là. Chacun porte sa croix. Moi je dis ce que j’ai à dire, je fais ce que j’ai à faire, c’est tout. Si cela fait avancer le pays c’est tant mieux, si c’est contraire à la loi, la loi s’impose à tous. Je veux juste dire, contentons-nous, chacun en ce qui le concerne de bien faire ce qu’on a à faire ; c’est cela être un bon citoyen. Le reste est un bonus.
C’est surprenant ce désintérêt, cela ne vous ressemble pas, c’est presque de l’indifférence. Qu’est-ce qui motive aujourd’hui votre attitude après que vous ayez écrit ce que vous avez écrit ?
Désintérêt, non. Indifférence, certainement pas. Réaliste. Juste réaliste. Il faut savoir mettre chacun devant ses responsabilités. C’est tout. Il faut que nous apprenions à responsabiliser nos responsables pour chaque chose. Quand on a compéti pour un poste aussi important que celui du Président de la République on sait mobiliser les ressources dont on a besoin pour réussir. Je ne crois pas qu’on aie besoin de moi avant de réussir. Comment être indifférent à la gouvernance dans un pays où tout le monde devient conducteur de taxi-moto ou vendeur d’essence. Vous rentrez dans une rue, vous voyez le même commerce à droite et à gauche. Ils sont dans une rue et ils font la même chose l’un en face de l’autre. Et les uns luttent contre les autres. On alimente la mesquinerie et la méchanceté en laissant le chômage et le sous emploi croître. Dire cela par exemple c’est déjà aider.
Votre mot de fin
Je vais dire deux choses pour conclure. La première : ce pays nous appartient à tous. C’est pour cela que nous nous battons, c’est pour cela que nous faisons des propositions. Les combats que nous fuyons, nos enfants viendront les mener. Donc, quand le débat a lieu, il faut y prendre part sans trop se donner de l’importance. Je parlerai ensuite à mes collèges professionnels de la culture. Nos problèmes sont politiques et les solutions sont politiques. Tant qu’il n’y a pas de volonté politique affichée gardons-nous de toute compromission, le combat n’est pas gagné. J’observe que nous applaudissons trop vite, que nous dansons trop vite, que nous chantons trop vite, que nous nous aplatissons trop vite. Je nous invite à un peu plus de résistance. Je suis choqué quand je vois présenter un collègue à la télé, le sourire béat, malade, affamé, avec un chèque de 100.000 F CFA, le pauvre type que l’Etat essaie d’arracher à la mort devant les caméras. Ce sont des images qui nous dénigrent et nous déshonorent. J’en ai marre de voir des images du genre à la télévision. Et nous y arriverons si nous nous mettons ensemble pour nous battre. Merci.
Réalisation : Henri MORGAN