IL FAUT APPRENDRE À CONQUERIR L’IMPOSSIBLE

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Ousmane ALEDJI, écrivain, entrepreneur culturel, promoteur du centre culturel Artisttik Africa et ancien chargé de mission du président de la République, décrypte l’univers culturel béninois. Dans cet entretien exclusif, il donne son point de vue sur certains faits marquants culturels, du financement de la culture et évoque les raisons de la rénovation du centre culturel Artisttik Africa…

  

 Bonjour M ALEDJI, plus d’un béninois vous croyaient encore en poste à la Présidence de la République en tant que chargé de missions du chef de l’Etat ; on vous retrouve un peu surpris, sur le chantier de la rénovation du centre culturel Artisttik Afica ; que s’est-il passé ?

Rien de spécial ! Tous les contrats ont une fin ; le mien était de deux ans, il m’a été renouvelé une fois.

C’est tout ?

C’est tout ce qu’il y a à dire.

Est-ce que cela signifie que la mission pour laquelle le chef de l’Etat vous a fait appel est terminé ?

Vous savez comment ça fonctionne au sommet de l’Etat : un jour on vous fait appel, un jour on fait appel à quelqu’un d’autre ; seul le chef de l’Etat choisit et se sépare de ses collaborateurs.

Vous n’êtes plus dans vos fonctions depuis bientôt deux ans mais; avec le recul, quelle analyse faites-vous de l’environnement culturel béninois à l’ère de la RUPTURE

C’est très compliqué de répondre à cette question. Je n’en suis pas capable. Sincèrement.

Vous ne souhaitez pas heurter ou décevoir vos amis ?

Que voulez-vous savoir précisément ?

La vérité

Sur quoi ?... Comment vous le dire ; un responsable ne dit pas toujours ce qu’il pense ni même la vérité, si vérité il y a, il dit ce qu’il doit dire. Donc, entre nous, pour que cela soit clair pour tout le monde, je vous ai dit et je ne vous dirai que ce que je dois vous dire.

Où en est par exemple le Programme d’action du gouvernement dans le secteur culturel

L’exécution du PAG suit son cours.

Mais encore… ?

Ecoutez, vous me connaissez, j’aime être objectif et franc. Là, je ne suis pas certain d’honorer ce principe qui m’est cher. Je vous recommande de vous rapprocher du ministère de la culture ou du porte-parole du gouvernement pour avoir les rapports officiels du gouvernement pour faire et étayer vos analyses, des preuves à l’appui.

Qu’est-ce qui, selon vous, justifie la dissolution du Fonds des Arts à la Culture ?

Les réformes, je pense. La dissolution, je veux dire, le mot ‘’dissolution’’ telle qu’il a été prononcé est un choix sémantique que j’aurais déconseillé, cela peut laisser croire que l’Etat ferme tout et arrête tout.

Ce n’est pas le cas ?

Je ne pense pas. Les réformes sont encours me semble-t-il. Le financement de la culture est un acquis. C’est le mécanisme d’octroie ou de mise à disposition de ce financement qui est encours d’actualisation. Attendons. Le chef de l’Etat est très attentif à ce qui se fait dans notre secteur.

Vous nous aviez dit, il y a un peu plus de deux ans, hors micro, qu’aucun gouvernement ne prendrait le risque de fermer le FAC.

Et je pense toujours que c’est un outil trop précieux pour qu’on le supprime. D’ailleurs, Je crois savoir que le Ministre de la culture a, après la décision du gouvernement, réuni les acteurs du secteur pour les rassurer quand à la mise en place d’un dispositif nouveau, plus sécurisé, mais inspiré de l’ancien FAC et avec les mêmes missions que ce dernier. Attendons.

Monsieur ALEDJI, pour nombre de mes collègues et moi-même, vous étiez le ‘’monsieur restitution des biens culturels’’ du Président de la République, avez-vous gardé un œil sur ce dossier et, si vous le permettez, à quoi la population béninoise doit s’attendre.

Alors, ‘’le monsieur restitution des biens culturels’’ s’appelle Patrice TALON. C’est le seul. Tous ceux qui sont intervenus sur ce dossier, l’ont fait à sa demande et sur ses instructions. Moi compris. Ensuite, le palais de la République, pour nous autres qui sommes béninois, est un couvent ; je dirai même que c’est le plus grand et le plus profond couvent du Bénin. Alors, quand j’en suis sorti, j’ai pris soin de fermer la porte derrière moi. Cependant, pour répondre à la dernière partie de votre question, j’ai écouté et lu l’intégralité du discours du Président Emmanuel Macron sur les nouvelles politiques françaises en Afrique, il y évoque la poursuite des restitutions à travers le vote d’une loi présentant les critères de restituabilité. La population béninoise peut donc, si j’en juge par la qualité des relations entre les deux chef d’états, espérer d’autres restitutions.

M ALEDJI, on vous a entendu, au micro de notre consoeur, ‘’REPORTER BENIN MONDE’’ émettre quelques réserves sur la transformation de l’institut français du Bénin. Cette infrastructure va être relogée dans un autre espace plus grand et deviendra institut franco-béninois. Pourquoi ce projet ne vous emballe pas ?

Parce que je me méfie des raccourcis. Nous allons fêter dans quelques mois, le soixante  troisième anniversaire de l’indépendance de notre pays et nous n’avons toujours pas un seul équipement culturel digne du nom dans ce pays. Justement, au titre des projets phares du PAG pour le secteur culturel, il y a par exemple, la construction des arènes culturels ; plus d’une vingtaine, comme les stades de foot. Lisez la brochure du PAG, vous verrez. C’est un projet extraordinaire, une première en Afrique, un projet sur lequel nous avons passé des nuits blanches… Bref, je pense qu’il faut laisser les français à leur politique culturelle et actualiser la nôtre, ensuite, inventer des cadres pour la promouvoir et la propager. Mais bon… ce n’est que mon avis.

Avec votre permission, nous allons maintenant, changer de sujet. Le centre culturel Artisttik Africa dont vous êtes le propriétaire et promoteur est en travaux depuis quelques mois, mais, pour une rénovation, c’est à une véritable transformation qu’on assiste. Ça doit coûter cher. Non ?

Oh oui ! Mais, l’argent est une chose ; le plus dure c’est l’énergie et les nerfs. Nos ouvriers sont pires que des stars.

Tous ces travaux sont-ils vraiment nécessaires ?

Oui. Enfin… Je pense que oui. On a surtout beaucoup démoli pour faire de grands espaces. Vous savez, faire tomber les murs ne coûte pas grand chose, c’est les monter qui vous vide vos comptes.

Pouvez-vous nous présenter un résumé, de la nouvelle architecture du Centre culturel Artisttik Africa ?

Vous avez sur les quatre niveaux, la terrasse comprise, des espaces dédiés à l’art plastique, donc une galerie d’art d’environ 2000 mètres carrés, un théâtre de 200 places, un coin livres et documentation, un coin cabaret et détente et des bureaux pour le personnel.

Une galerie de 2000 mètres carrés ; pour quoi faire, n’est-ce pas trop grand ?

Ce n’est pas trop grand, même si c’est la plus grande du Bénin à l’heure où nous parlons. Ce n’est pas trop grand parce qu’il y a une belle dynamique induite par  la restitution des biens culturels autour des arts visuels béninois. Il faut ajouter à cela, une politique publique incitative que porte le chef de l’état et son épouse part l’attitude et le comportement. Je vous explique. Cela passe presque inaperçu parce que nous ne savons pas donner de la valeur aux symboles. Ailleurs : le théâtre, l’opéra, l’art plastique notamment ont acquis leurs lettres de noblesses parce que c’était le privilège presque exclusif des hauts dignitaires des pouvoirs, des nobles et des aristocrates. Chez nous, le couple présidentiel commence par aller dans les salles de théâtre, aux concerts, dans les galeries d’art ; ils assistent parfois aux défilés de mode ou encore reçoivent les créateurs dans leur résidence privée. On a vu le Chef de l’état jouer les experts du patrimoine devant ses invités au palais lors du vernissage de l’exposition des trésors royaux restitués par la France. Mme Talon est à la tête d’une fondation qui accueille et présente des œuvres d’art et des photographies militantes certes, mais, des artistes de renom. Bref…! Il y a manifestement un désir de l’art au plus haut sommet de l’état. Je suis persuadé que si cela continue, il y aura comme un effet d’entrainement général, donc, nous autres, professionnels, nous devons être prêts à récupérer le bénéfice de cet investissement.

Vous y croyez vraiment ?

Absolument ! Cela s’appelle l’éducation par l’exemple ou encore la création de l’opinion dominante. Plus vous êtes visible, plus vous influencez. Plus vous avez du pouvoir, plus vous manipulez.  Vous souvenez-vous de la tenue de percepteur que portait le chef de l’état lors de son passage au marché Ganhi ? Avez-vous observé le succès de cette tenue après dans la population ? Observez encore, ces derniers temps, il porte très régulièrement des ‘’ demie-saison ’’ et à sa suite, tous ses ministres, tout le monde quasiment s’y met. C’est cela, l’effet d’entrainement dont je parle. Les gens ont tendance à reproduire les goûts et les habitudes des chefs et des puissants. C’est humain. C’est même scientifique. Donc si le couple présidentiel continue de fréquenter les lieux culturels, de manifester de l’intérêt, de donner de la place et de la considération à l’art, je suis persuadé que le grand public béninois reprendra le chemin des salles de spectacle. Et Artisttik Africa est prêt à accueillir du monde.

Vous êtes très optimiste.

(rires) C’est le plus gros de mes défauts. Mais, sans espoir les rêves meurent en nous. D’ailleurs, j ’observe qu’au Bénin, en Afrique en général, on a une fâcheuse tendance à réprimander les rêveurs. C’est une très grave erreur. Nous devons me semble-t-il, apprendre à conquérir l’impossible. Et se dire qu’aucun rêve n’est idiot.

Mettre autant d’argent pour ériger un édifice culturel à Agla, un quartier connu pour être difficile d’accès en saison pluvieuse, n’est-ce pas un peu risqué.

Je vous l’accorde. C’est un pari. Dieu est généreux avec nous et il veille. Et, nous travaillons sur les publics de proximité. Puis, Agla n’est plus le quartier que vous décrivez là, croyez-moi. Les travaux d’asphaltage ont fait des miracles alentours. Désormais, les gens sortent et rentrent chez eux sans mettre les pieds dans l’eau, même en saison pluvieuse. Puis, la programmation artistique de Artisttik Africa suit quasiment le même calendrier que la saison artistique dans les pays européens ; neuf mois : début juillet à fin Mars. Je saute la saison pluvieuse comme nos collègues européens sautent l’été. Je donne trois mois de congés à mon personnel et moi-même j’en profite pour créer de nouveaux spectacles et pour m’alimenter. Donc les questions d’accessibilité et de pluie sont réglées. Mon soucis, c’est  le manque de productions de qualité. Les banques rechignent à nous accompagner et les subventions publiques et institutionnelles ne tombent plus.

Et comment vous allez faire ?

Je compose avec le diktat des coproductions. C’est très complexe et très souvent décevant à la fin. Mais, Sophie … que vous connaissez certainement, elle répète que « même sale, l’eau éteint le feu ». Pragmatique et efficace. 

Après plus d’une dizaine d’années de fonctionnement, peut-on dire que les objectifs que vous poursuivez en créant le centre culturel Artisttik Africa ont été atteints ?

 Ah ! la grande question ! Certains me demandent pourquoi tu as fait ça ? Bref… ! Je ne sais pas. Je ne sais plus. Un centre culturel, c’est tout simplement la maison de l’esprit. Tant qu’on peut y susciter des rencontres, tant qu’on peut y féconder des idées, y agiter deux ou trois mystères, l’esprit y habitera, grandira, s’épanouira. C’est aussi pour cette raison que les anciens parlent des lieux culturels comme des écoles de l’esprit pour l’esprit. Je ne suis pas plus ambitieux que ça ; contribuer à former et à féconder des esprits ; ce n’est pas un objectif mais un cheminement sans fin, un cheminement inclusif, participatif  et sans fin. La beauté éternelle existe, je pense. Du moins, il faut l’espérer.

Vous investissez dans un centre culturel dans un pays où tout semble rouler au ralenti : les lancements d’album sont devenus très rares, les vernissages, n’en parlons plus, les représentations théâtrales sont tout aussi rares… bref, comment comptez-vous  animer ce centre et le rentabiliser.

 Le but n’est pas de gagner de l’argent. Un centre culturel n’est pas une boutique. Je ne me suis pas jeté dans un piège, comme certains le disent. Cela dit, il faut des ressources pour tenir une saison artistique, pour payer les factures, le personnel, le cachet des artistes etc… Et les subventions publiques, quand elles existent, elles ne suffisent pas ; d’où le combat que je mènerai désormais.  La chasse à la gratuité. Il faut qu’on arrête d’offrir de l’art aux gens ; la création artistique n’est pas un gâteau. Je suis prêt à encaisser les critiques. Mais, nous devons apprendre à dire non à la gratuité, ça suffit. Nous mettrons en place progressivement un système d’abonnement. Vous venez, vous payez sinon restez chez vous. C’est aussi simple que cela. Poliment mais fermement !

M ALEDJI, comment voulez-vous que les banques vous accompagnent si vous dites vous même que le but n’est pas de gagner de l’argent, d’un centre culturel n’est pas une boutique.

Aucun centre culturel digne du nom n’est rentable, ne vise la rentabilité ; d’ailleurs ce n’est pas sa vocation. Il n’est pas rentable au Bénin, pas plus en France. C’est pour cela que la politique culturelle française a préconisé les conventionnements et les subventions des équipements et structures culturels, publics comme privés. Vous pouvez le vérifier. Ce que nous attendons des banques ce n’est pas de financer nos lieux culturels ou de leur accorder des crédits pour leur fonctionnement, ça c’est le rôle du service public, je veux dire, de l’Etat, des municipalités et des collectivités locales etc… En revanche, le rôle, je dirai même, la vocation d’une banque n’est-elle plus de financer des entreprises et des industries… ? Si oui, des micros entreprises, des entreprises innovantes et des industries créatives, il y en a aussi dans le secteur culturel. C’est même un vivier en friche, inexploré et inexploité. Il est temps pour nos banques de prospecter le territoire culturel. Cela y va de l’intérêt des banques elles-mêmes d’abord avant d’être un potentiel vecteur de rayonnement de notre pays. Nous n'allons pas vers les banques pour mendier, mais, pour leur apporter de l’argent, du réseau et du prestige. Les banques qui nous prennent de haut font preuve de grande ignorance. C’est dommage.

Qu’est-ce qu’une banque pourrait par exemple financer dans un centre culturel par ?

Les productions par exemple. Toutes les productions sont susceptibles d’être amorties après un temps d’exploitation. Je parle de productions cinématographiques, de spectacles vivants, d’arts visuels, de musique etc… pour un bon investisseur, produire une bonne œuvre a plus d’intérêt que de produire du maïs, par exemple, parce que le maïs destinée à la vente a une quantité et une durée de vie limitées. La durée moyenne d’exploitation d’une œuvre c’est entre trente à soixante dix ans. Il y a des acteurs qui jouent le même spectacle pendant cinquante ans, pendant toute leur vie. Lui, il sème une fois mais il récolte toute sa vie, et avec un peu de chance, sa descendance aussi va en profiter. Deux toiles de Miro ou de Picasso suffisent à acheter toutes nos banques au Bénin. Vous me suivez ?

Qui doit faire ce plaidoyer vers les banques

Personne. Elles savent gagner de l’argent. Elles sont suffisamment riches pour embaucher du personnel qualifié ou pour solliciter des consultants là où elles manquent d’expertises. Nos banques font des efforts, il faut le reconnaître, pour se doter d’équipements techniques et technologiques de dernières générations, elles devraient faire le même effort sur la mentalité de leur personnel.

 

L’ouverture de la saison à ARTISTTIK AFRICA est prévue pour quand ?

Pour la première semaine du mois de juillet, par la grâce de Dieu ! je travaille en ce moment sur la sélection et la sur la programmation. Il reste encore des petites choses à faire et puis on sera prêt.

 Un mot sur l’actualité politique pour clore notre entretien 

Non. On parlera de politique une autre fois. S’il vous plait. S’il… vous lait. N’insistez pas.

Les dernières élections législatives ne vous inspirent pas un petit commentaire

Mon cher ami, je n’ai pas l’habitude de faire un petit commentaire, je prends position ou je me tais. Ça n’a pas changé. Je vous remercie

 Entretien réalisé par : Isaac Yaï, quotidien FRATERNITÉ du 20 Mars 20023

OUSMANE ALEDJI A PROPOS DE LA PIECE TASSI HANGBE : « NOUS PRESENTONS A LA COMMUNAUTE ARTISTIQUE UNIVERSELLE LE PRODUIT D’UNE DRAMATURGIE NOUVELLE ET PROPRE A L’AFRIQUE »

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« Tassi Hangbé » ! Cette pièce écrite par Florent Couao-Zotti et mise en scène par le dramaturge béninois Ousmane Alédji, fait parler d’elle depuis sa représentation au palais des congrès de Cotonou le mercredi 22 décembre 2021. A travers cet entretien réalisé par le quotidien du service public la Nation, le metteur en scène revient sur l’histoire de cette reine atypique et le casting fait pour la réussite de cette représentation.

M ALEDJI, que vous inspire à vous-même, le personnage de TASSI HANGBE.

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CÉSAIRE

AIMÉ CÉSAIRE RÉPOND À MACRON

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Par: Ousmane ALÉDJI

« La vérité est que le grand drame historique de l’Afrique a moins été sa mise en contact trop tardive avec le reste du monde, que la manière dont ce contact a été opéré ; c’est au moment où l’Europe est tombée entre les mains des financiers et des capitaines d’industrie les plus dénués de scrupules que l’Europe s’est  propagée ; notre malchance a voulu que ce soit cette Europe-là que nous ayons rencontrée sur notre route ; cette Europe-là est comptable devant la communauté humaine du plus haut tas de cadavres de l’histoire »  .

Secret de Polichinelle : voici une bonne vingtaine d'années que je me suis promis de travailler sur deux personnages emblématiques: HAMLET de Shakespeare (lieu de révoltes) et AIMÉ CÉSAIRE - une éruption foudroyante mais aussi un FÂ majeur, le signe prophétique qui résume un millénaire.

J'ai essayé de ranger le premier avec plus ou moins de réussite en reproduisant son insurrection dans certains de mes textes. Prétentieux sans doute mais cela a suffi à me calmer. Le second, CÉSAIRE, lui, s'est installé au milieu de ma gorge comme une espèce de champion incorruptible, la bête qui reprend de l'allure dès que je l'arrose d'un peu de colère. Bref ! L'écriture va à l'écriture comme l'eau va à la rivière.

Je veux dire que ce que nous appelons depuis quelques semaines au Bénin '' l'incident de Paris'' m'a choqué aussi. J'ai été choqué comme beaucoup d’autres africains; à tel point que le CÉSAIRE qui sommeillait en moi s'est réveillé. Certes, il faut être dans la tête des différents protagonistes de cette affaire pour savoir pourquoi cet étalage d’irrespects, de quiproquos et d’incongruités sur la place publique. Il ne s’agit donc pas d’une prise de position chauviniste. Quoique (…) Mais, ne pas saisir l’occasion que nous offre un incident aussi gros pour revisiter la France-Afrique à la Macron, nous rendrait complice de tout ce qui va suivre. Le pire n’est pas toujours derrière nous.

Le commencement de l'insulte.

J’évoque CÉSAIRE ici parce qu’il me semble qu’il a posé bien avant un grand nombre de nos pères et bien mieux que tous, une équation essentielle quant aux relations entre l’Afrique et l’occident ; relations entre leurs peuples, relations entre leurs dirigeants, relations entre leurs cultures et leurs mystères. Ce qui s’est passé à Paris, qu’on le veuille où pas, a des origines lointaines, historiques.

Qui parle de relations, parle de rencontres et d’échanges, donc de contacts. C’est du reste l’objet du voyage effectué par le Président béninois. La dessus, CÉSAIRE remonte à la première rencontre historique avec la France: «… la colonisation a-t-elle vraiment mis en contact ? Ou, si l’on préfère, de toutes les manières d’établir contact, était-elle la meilleure ?

Nous répondons non. Et nous disons que de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie ; que, de toutes les expéditions coloniales accumulées, de tous les statuts coloniaux élaborés, de toutes les circulaires ministérielles expédiées, on ne saurait réussir une seule valeur humaine.

Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu’il y a au Viêtnam une tête coupée et un œil crevé et qu’en Europe on accepte, une fillette violée et qu’en Europe on accepte, un Malgache supplicié et qu’en Europe on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort.

CÉSAIRE parle ici ‘’d’Europe’’ pour ménager certains de ses amis français. Tout le monde sait à qui il s’adresse. D’ailleurs le candidat Emmanuel MACRON a reconnu devant les caméras et vieux arkis, à Alger, « le crime contre l’humanité » dont a été victime l’Afrique. Il a même demandé pardon. Sur le fait, j’ai eu la faiblesse de le prendre au sérieux. Et j’ai applaudi comme beaucoup d’autres, ravi du changement de discours et d’attitude envers l’Afrique de la part d’un jeune leader et très sérieux prétendant au trône français.

Mais là encore, CÉSAIRE avait la réponse juste: « En vérité, il est des tares qu’il n’est au pouvoir de personne de réparer et que l’on n’a jamais fini d’expier. Colonisateur, en pion, en adjuvant, en garde-chiourme, en chicote, et l’homme indigène, en instrument de production.A notre tour de poser une équation : colonisation = chosification.

Le nouveau régent

Comme pour honorer la mémoire de CÉSAIRE, Macron, du haut de ses attributs de Président, dira à ses concitoyens des Antilles d’arrêter de pêcher des comoriens. Ils sont moins précieux que des poissons. Chosification !!!

Point d’équivoque, Emmanuel Macron est décidé à s’assoir sur une diplomatie française empreinte de respect réciproque instaurée par son prédécesseur et parrain politique qu’il essaie d’ailleurs d’isoler. En bon colon, il ne redoute rien quand il s’agit de s’adresser aux ‘’indigènes’’ d’Afrique. Il s’offre le culot de l’injure publique, comme le firent ses ancêtres, un siècle avant lui : « Les africains ont un problème civilisationnel » affirme-t-il. Ah bon ??? Passons. Là, il répète avec un peu plus de finesse l’autre bougre, celui que tous les médias français désignent comme le sniffeur en chef du blé et du sang de Kadhafi. Rien de nouveau donc ! Depuis le temps que ça dure, ces africains ne sont  plus irrités par chaque muflerie. Mais, de là à accepter que Macron aille fourrer son nez sous les jupons féconds de ma tante… non. « Dans un contexte où les gens en sont encore à faire 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez investir des milliards ; ça ne sert à rien ». C’est du ‘’habamin’’ aggravé.

Qui parle ? Le Président français ? ‘‘Le petit colon’’ qui flotte dans ses apparats ou mon jeune frère de huit ans à qui je peux encore, s’il en fait la demande, pardonner bien des bourdes et des ignorances ? N’y a-t-il pas là (dans ce discours) de quoi recommander à nos sœurs d’éviter les contraceptifs fabriqués dans les laboratoires français ? Savons-nous seulement de quoi ils (les requins de la France-Afrique) sont capables ? Avons-nous une petite idée de ce qui se trame déjà contre nous, étant donné qu’ils se croient encore en droit de régenter notre mode de vie ?

En supposant même que le taux d’accroissement ‘’incontrôlé’’ de la population africaine explique en partie l’aggravation de la pauvreté sur le continent, cela rend-t-il légitimes les voles et les prédations les plus ignobles dont l’Afrique est victime?

Emmanuel Macron ignore-t-il que Le ‘’crime contre l’humanité’’ qu’il a reconnu et dénoncé se poursuit sous d’autres formes ? Est-il au courant de ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire ? Sait-il ce qui se passe à Kidal, à Benghazi ou encore, à Bangui ? Par quel nom veut-il que l’histoire l’appelle, vu la détermination avec laquelle il est visiblement entrain de perpétuer, rien ne l’y oblige, un système et des pratiques que lui-même reconnaît comme étant constitutifs de crime contre l’humanité ? Trouve-t-il soudain tout cela normal parce qu’il en est devenu le principal porte flambeau et le premier défenseur ? Normal, le franc CFA ? Vraiment ?

Parlant du franc CFA, Macron aurait répondu aux chefs d’Etats africains, à ceux parmi eux qui lui semblent un poil grincheux : « quand on ne veut pas appartenir à la zone cfa, on en sort, on va créer sa monnaie et on ferme sa gueule ». Comme à des enfants ! C’est à couper le souffle. Impossible de le voir venir avec ces mots là, avec ce vocabulaire là, dans ce contexte ci. Mais qui donc nous a parlés d’échanges équitables, de réciprocité ? Qui a pu nous faire croire qu’en matière de coopération, les limites existaient et qu’elles s’imposaient aussi à la bienveillante mère colonisatrice ?

Les temps ne changent pas ; pas fondamentalement.

Mis bout à bout, les déclarations, les commentaires et l’attitude de Marcon dans ses adresses à l’Afrique sont plus proches du mépris que du respect. Pourquoi ? Est-ce parce qu’entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, des élites décérébrées, des masses avilies ? Qu’il n’y a toujours « aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l’homme », qui transforment l’un et l’autre.

Ce CÉSAIRE, il me semble que le temps est venu pour nous de lui rendre le souffle dont il nous a nourri. Non par gratitude, non par colère, non par besoin d’exorcisme égoïste, ni même par vengeance ; quoique tout ceci serait légitime et parfaitement assumé. Nous sommes tous capables d’arrogance «… car, il n’est point vrai que l’œuvre de l’homme est finie, que nous n’avons rien à faire au monde, que nous parasitons le monde »

Nous devons rouvrir CÉSAIRE parce qu’il faut répéter aux colons nouveaux qu’il y a bien longtemps que nous ne sommes plus dupes. «… et il reste à l’homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur »

Nous devons rouvrir CÉSAIRE, l’offrir à nos enfants pour les décomplexer. «… et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force »

Rouvrir CÉSAIRE et le diffuser partout en Afrique, pendant des années, des décennies s’il le faut, afin que son sucre inonde l’humain au delà des frontières africaines. «… et il est place pour  tous au rendez-vous de la conquête »

Rouvrir CÉSAIRE enfin par foi en l’autre, dans l’espoir d’un rejet ‘’du crime contre l’humanité’’ par tous les peuples du monde, y compris par ceux auxquels le crime profite. «… et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu’a fixée notre volonté seule, et que, toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite ». 

Dans l’acte, l’histoire s’écrit. Emmanuel MACRON commence à écrire la sienne ; elle est en lettres minuscules. Pour l’instant.