IL FAUT APPRENDRE À CONQUERIR L’IMPOSSIBLE
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Ousmane ALEDJI, écrivain, entrepreneur culturel, promoteur du centre culturel Artisttik Africa et ancien chargé de mission du président de la République, décrypte l’univers culturel béninois. Dans cet entretien exclusif, il donne son point de vue sur certains faits marquants culturels, du financement de la culture et évoque les raisons de la rénovation du centre culturel Artisttik Africa…
Bonjour M ALEDJI, plus d’un béninois vous croyaient encore en poste à la Présidence de la République en tant que chargé de missions du chef de l’Etat ; on vous retrouve un peu surpris, sur le chantier de la rénovation du centre culturel Artisttik Afica ; que s’est-il passé ?
Rien de spécial ! Tous les contrats ont une fin ; le mien était de deux ans, il m’a été renouvelé une fois.
C’est tout ?
C’est tout ce qu’il y a à dire.
Est-ce que cela signifie que la mission pour laquelle le chef de l’Etat vous a fait appel est terminé ?
Vous savez comment ça fonctionne au sommet de l’Etat : un jour on vous fait appel, un jour on fait appel à quelqu’un d’autre ; seul le chef de l’Etat choisit et se sépare de ses collaborateurs.
Vous n’êtes plus dans vos fonctions depuis bientôt deux ans mais; avec le recul, quelle analyse faites-vous de l’environnement culturel béninois à l’ère de la RUPTURE
C’est très compliqué de répondre à cette question. Je n’en suis pas capable. Sincèrement.
Vous ne souhaitez pas heurter ou décevoir vos amis ?
Que voulez-vous savoir précisément ?
La vérité
Sur quoi ?... Comment vous le dire ; un responsable ne dit pas toujours ce qu’il pense ni même la vérité, si vérité il y a, il dit ce qu’il doit dire. Donc, entre nous, pour que cela soit clair pour tout le monde, je vous ai dit et je ne vous dirai que ce que je dois vous dire.
Où en est par exemple le Programme d’action du gouvernement dans le secteur culturel
L’exécution du PAG suit son cours.
Mais encore… ?
Ecoutez, vous me connaissez, j’aime être objectif et franc. Là, je ne suis pas certain d’honorer ce principe qui m’est cher. Je vous recommande de vous rapprocher du ministère de la culture ou du porte-parole du gouvernement pour avoir les rapports officiels du gouvernement pour faire et étayer vos analyses, des preuves à l’appui.
Qu’est-ce qui, selon vous, justifie la dissolution du Fonds des Arts à la Culture ?
Les réformes, je pense. La dissolution, je veux dire, le mot ‘’dissolution’’ telle qu’il a été prononcé est un choix sémantique que j’aurais déconseillé, cela peut laisser croire que l’Etat ferme tout et arrête tout.
Ce n’est pas le cas ?
Je ne pense pas. Les réformes sont encours me semble-t-il. Le financement de la culture est un acquis. C’est le mécanisme d’octroie ou de mise à disposition de ce financement qui est encours d’actualisation. Attendons. Le chef de l’Etat est très attentif à ce qui se fait dans notre secteur.
Vous nous aviez dit, il y a un peu plus de deux ans, hors micro, qu’aucun gouvernement ne prendrait le risque de fermer le FAC.
Et je pense toujours que c’est un outil trop précieux pour qu’on le supprime. D’ailleurs, Je crois savoir que le Ministre de la culture a, après la décision du gouvernement, réuni les acteurs du secteur pour les rassurer quand à la mise en place d’un dispositif nouveau, plus sécurisé, mais inspiré de l’ancien FAC et avec les mêmes missions que ce dernier. Attendons.
Monsieur ALEDJI, pour nombre de mes collègues et moi-même, vous étiez le ‘’monsieur restitution des biens culturels’’ du Président de la République, avez-vous gardé un œil sur ce dossier et, si vous le permettez, à quoi la population béninoise doit s’attendre.
Alors, ‘’le monsieur restitution des biens culturels’’ s’appelle Patrice TALON. C’est le seul. Tous ceux qui sont intervenus sur ce dossier, l’ont fait à sa demande et sur ses instructions. Moi compris. Ensuite, le palais de la République, pour nous autres qui sommes béninois, est un couvent ; je dirai même que c’est le plus grand et le plus profond couvent du Bénin. Alors, quand j’en suis sorti, j’ai pris soin de fermer la porte derrière moi. Cependant, pour répondre à la dernière partie de votre question, j’ai écouté et lu l’intégralité du discours du Président Emmanuel Macron sur les nouvelles politiques françaises en Afrique, il y évoque la poursuite des restitutions à travers le vote d’une loi présentant les critères de restituabilité. La population béninoise peut donc, si j’en juge par la qualité des relations entre les deux chef d’états, espérer d’autres restitutions.
M ALEDJI, on vous a entendu, au micro de notre consoeur, ‘’REPORTER BENIN MONDE’’ émettre quelques réserves sur la transformation de l’institut français du Bénin. Cette infrastructure va être relogée dans un autre espace plus grand et deviendra institut franco-béninois. Pourquoi ce projet ne vous emballe pas ?
Parce que je me méfie des raccourcis. Nous allons fêter dans quelques mois, le soixante troisième anniversaire de l’indépendance de notre pays et nous n’avons toujours pas un seul équipement culturel digne du nom dans ce pays. Justement, au titre des projets phares du PAG pour le secteur culturel, il y a par exemple, la construction des arènes culturels ; plus d’une vingtaine, comme les stades de foot. Lisez la brochure du PAG, vous verrez. C’est un projet extraordinaire, une première en Afrique, un projet sur lequel nous avons passé des nuits blanches… Bref, je pense qu’il faut laisser les français à leur politique culturelle et actualiser la nôtre, ensuite, inventer des cadres pour la promouvoir et la propager. Mais bon… ce n’est que mon avis.
Avec votre permission, nous allons maintenant, changer de sujet. Le centre culturel Artisttik Africa dont vous êtes le propriétaire et promoteur est en travaux depuis quelques mois, mais, pour une rénovation, c’est à une véritable transformation qu’on assiste. Ça doit coûter cher. Non ?
Oh oui ! Mais, l’argent est une chose ; le plus dure c’est l’énergie et les nerfs. Nos ouvriers sont pires que des stars.
Tous ces travaux sont-ils vraiment nécessaires ?
Oui. Enfin… Je pense que oui. On a surtout beaucoup démoli pour faire de grands espaces. Vous savez, faire tomber les murs ne coûte pas grand chose, c’est les monter qui vous vide vos comptes.
Pouvez-vous nous présenter un résumé, de la nouvelle architecture du Centre culturel Artisttik Africa ?
Vous avez sur les quatre niveaux, la terrasse comprise, des espaces dédiés à l’art plastique, donc une galerie d’art d’environ 2000 mètres carrés, un théâtre de 200 places, un coin livres et documentation, un coin cabaret et détente et des bureaux pour le personnel.
Une galerie de 2000 mètres carrés ; pour quoi faire, n’est-ce pas trop grand ?
Ce n’est pas trop grand, même si c’est la plus grande du Bénin à l’heure où nous parlons. Ce n’est pas trop grand parce qu’il y a une belle dynamique induite par la restitution des biens culturels autour des arts visuels béninois. Il faut ajouter à cela, une politique publique incitative que porte le chef de l’état et son épouse part l’attitude et le comportement. Je vous explique. Cela passe presque inaperçu parce que nous ne savons pas donner de la valeur aux symboles. Ailleurs : le théâtre, l’opéra, l’art plastique notamment ont acquis leurs lettres de noblesses parce que c’était le privilège presque exclusif des hauts dignitaires des pouvoirs, des nobles et des aristocrates. Chez nous, le couple présidentiel commence par aller dans les salles de théâtre, aux concerts, dans les galeries d’art ; ils assistent parfois aux défilés de mode ou encore reçoivent les créateurs dans leur résidence privée. On a vu le Chef de l’état jouer les experts du patrimoine devant ses invités au palais lors du vernissage de l’exposition des trésors royaux restitués par la France. Mme Talon est à la tête d’une fondation qui accueille et présente des œuvres d’art et des photographies militantes certes, mais, des artistes de renom. Bref…! Il y a manifestement un désir de l’art au plus haut sommet de l’état. Je suis persuadé que si cela continue, il y aura comme un effet d’entrainement général, donc, nous autres, professionnels, nous devons être prêts à récupérer le bénéfice de cet investissement.
Vous y croyez vraiment ?
Absolument ! Cela s’appelle l’éducation par l’exemple ou encore la création de l’opinion dominante. Plus vous êtes visible, plus vous influencez. Plus vous avez du pouvoir, plus vous manipulez. Vous souvenez-vous de la tenue de percepteur que portait le chef de l’état lors de son passage au marché Ganhi ? Avez-vous observé le succès de cette tenue après dans la population ? Observez encore, ces derniers temps, il porte très régulièrement des ‘’ demie-saison ’’ et à sa suite, tous ses ministres, tout le monde quasiment s’y met. C’est cela, l’effet d’entrainement dont je parle. Les gens ont tendance à reproduire les goûts et les habitudes des chefs et des puissants. C’est humain. C’est même scientifique. Donc si le couple présidentiel continue de fréquenter les lieux culturels, de manifester de l’intérêt, de donner de la place et de la considération à l’art, je suis persuadé que le grand public béninois reprendra le chemin des salles de spectacle. Et Artisttik Africa est prêt à accueillir du monde.
Vous êtes très optimiste.
(rires) C’est le plus gros de mes défauts. Mais, sans espoir les rêves meurent en nous. D’ailleurs, j ’observe qu’au Bénin, en Afrique en général, on a une fâcheuse tendance à réprimander les rêveurs. C’est une très grave erreur. Nous devons me semble-t-il, apprendre à conquérir l’impossible. Et se dire qu’aucun rêve n’est idiot.
Mettre autant d’argent pour ériger un édifice culturel à Agla, un quartier connu pour être difficile d’accès en saison pluvieuse, n’est-ce pas un peu risqué.
Je vous l’accorde. C’est un pari. Dieu est généreux avec nous et il veille. Et, nous travaillons sur les publics de proximité. Puis, Agla n’est plus le quartier que vous décrivez là, croyez-moi. Les travaux d’asphaltage ont fait des miracles alentours. Désormais, les gens sortent et rentrent chez eux sans mettre les pieds dans l’eau, même en saison pluvieuse. Puis, la programmation artistique de Artisttik Africa suit quasiment le même calendrier que la saison artistique dans les pays européens ; neuf mois : début juillet à fin Mars. Je saute la saison pluvieuse comme nos collègues européens sautent l’été. Je donne trois mois de congés à mon personnel et moi-même j’en profite pour créer de nouveaux spectacles et pour m’alimenter. Donc les questions d’accessibilité et de pluie sont réglées. Mon soucis, c’est le manque de productions de qualité. Les banques rechignent à nous accompagner et les subventions publiques et institutionnelles ne tombent plus.
Et comment vous allez faire ?
Je compose avec le diktat des coproductions. C’est très complexe et très souvent décevant à la fin. Mais, Sophie … que vous connaissez certainement, elle répète que « même sale, l’eau éteint le feu ». Pragmatique et efficace.
Après plus d’une dizaine d’années de fonctionnement, peut-on dire que les objectifs que vous poursuivez en créant le centre culturel Artisttik Africa ont été atteints ?
Ah ! la grande question ! Certains me demandent pourquoi tu as fait ça ? Bref… ! Je ne sais pas. Je ne sais plus. Un centre culturel, c’est tout simplement la maison de l’esprit. Tant qu’on peut y susciter des rencontres, tant qu’on peut y féconder des idées, y agiter deux ou trois mystères, l’esprit y habitera, grandira, s’épanouira. C’est aussi pour cette raison que les anciens parlent des lieux culturels comme des écoles de l’esprit pour l’esprit. Je ne suis pas plus ambitieux que ça ; contribuer à former et à féconder des esprits ; ce n’est pas un objectif mais un cheminement sans fin, un cheminement inclusif, participatif et sans fin. La beauté éternelle existe, je pense. Du moins, il faut l’espérer.
Vous investissez dans un centre culturel dans un pays où tout semble rouler au ralenti : les lancements d’album sont devenus très rares, les vernissages, n’en parlons plus, les représentations théâtrales sont tout aussi rares… bref, comment comptez-vous animer ce centre et le rentabiliser.
Le but n’est pas de gagner de l’argent. Un centre culturel n’est pas une boutique. Je ne me suis pas jeté dans un piège, comme certains le disent. Cela dit, il faut des ressources pour tenir une saison artistique, pour payer les factures, le personnel, le cachet des artistes etc… Et les subventions publiques, quand elles existent, elles ne suffisent pas ; d’où le combat que je mènerai désormais. La chasse à la gratuité. Il faut qu’on arrête d’offrir de l’art aux gens ; la création artistique n’est pas un gâteau. Je suis prêt à encaisser les critiques. Mais, nous devons apprendre à dire non à la gratuité, ça suffit. Nous mettrons en place progressivement un système d’abonnement. Vous venez, vous payez sinon restez chez vous. C’est aussi simple que cela. Poliment mais fermement !
M ALEDJI, comment voulez-vous que les banques vous accompagnent si vous dites vous même que le but n’est pas de gagner de l’argent, d’un centre culturel n’est pas une boutique.
Aucun centre culturel digne du nom n’est rentable, ne vise la rentabilité ; d’ailleurs ce n’est pas sa vocation. Il n’est pas rentable au Bénin, pas plus en France. C’est pour cela que la politique culturelle française a préconisé les conventionnements et les subventions des équipements et structures culturels, publics comme privés. Vous pouvez le vérifier. Ce que nous attendons des banques ce n’est pas de financer nos lieux culturels ou de leur accorder des crédits pour leur fonctionnement, ça c’est le rôle du service public, je veux dire, de l’Etat, des municipalités et des collectivités locales etc… En revanche, le rôle, je dirai même, la vocation d’une banque n’est-elle plus de financer des entreprises et des industries… ? Si oui, des micros entreprises, des entreprises innovantes et des industries créatives, il y en a aussi dans le secteur culturel. C’est même un vivier en friche, inexploré et inexploité. Il est temps pour nos banques de prospecter le territoire culturel. Cela y va de l’intérêt des banques elles-mêmes d’abord avant d’être un potentiel vecteur de rayonnement de notre pays. Nous n'allons pas vers les banques pour mendier, mais, pour leur apporter de l’argent, du réseau et du prestige. Les banques qui nous prennent de haut font preuve de grande ignorance. C’est dommage.
Qu’est-ce qu’une banque pourrait par exemple financer dans un centre culturel par ?
Les productions par exemple. Toutes les productions sont susceptibles d’être amorties après un temps d’exploitation. Je parle de productions cinématographiques, de spectacles vivants, d’arts visuels, de musique etc… pour un bon investisseur, produire une bonne œuvre a plus d’intérêt que de produire du maïs, par exemple, parce que le maïs destinée à la vente a une quantité et une durée de vie limitées. La durée moyenne d’exploitation d’une œuvre c’est entre trente à soixante dix ans. Il y a des acteurs qui jouent le même spectacle pendant cinquante ans, pendant toute leur vie. Lui, il sème une fois mais il récolte toute sa vie, et avec un peu de chance, sa descendance aussi va en profiter. Deux toiles de Miro ou de Picasso suffisent à acheter toutes nos banques au Bénin. Vous me suivez ?
Qui doit faire ce plaidoyer vers les banques
Personne. Elles savent gagner de l’argent. Elles sont suffisamment riches pour embaucher du personnel qualifié ou pour solliciter des consultants là où elles manquent d’expertises. Nos banques font des efforts, il faut le reconnaître, pour se doter d’équipements techniques et technologiques de dernières générations, elles devraient faire le même effort sur la mentalité de leur personnel.
L’ouverture de la saison à ARTISTTIK AFRICA est prévue pour quand ?
Pour la première semaine du mois de juillet, par la grâce de Dieu ! je travaille en ce moment sur la sélection et la sur la programmation. Il reste encore des petites choses à faire et puis on sera prêt.
Un mot sur l’actualité politique pour clore notre entretien
Non. On parlera de politique une autre fois. S’il vous plait. S’il… vous lait. N’insistez pas.
Les dernières élections législatives ne vous inspirent pas un petit commentaire
Mon cher ami, je n’ai pas l’habitude de faire un petit commentaire, je prends position ou je me tais. Ça n’a pas changé. Je vous remercie
Entretien réalisé par : Isaac Yaï, quotidien FRATERNITÉ du 20 Mars 20023